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Pluralité des forêts

Le concept de Pluralité des forêts, tel qu’introduit par Florence Brunois dans son article « La forêt peut-elle être plurielle ? Définitions de la forêt des Kasua de Nouvelle-Guinée », met en lumière les multiples définitions et valeurs que différents acteurs exogènes attribuent à la forêt des Kasua en Nouvelle-Guinée. Brunois (2004) observe que la forêt tropicale des Kasua est aujourd’hui multi-investie, représentant simultanément, pour différents groupes, un espace satanique, un objet de droit cessible et monnayable, un objet naturel de recherche scientifique, et un sanctuaire naturaliste.

Chacune de ces définitions de la forêt découle de la cosmologie propre à chacun de ces acteurs exogènes et de l’ontologie qu’elle supporte (Brunois, 2004). Cela signifie que la manière dont un missionnaire chrétien, une compagnie d’exploitation forestière, un scientifique ou une organisation de conservation perçoit et définit la forêt des Kasua est profondément enracinée dans leurs propres systèmes de croyances et leur compréhension fondamentale de la nature de l’être et du monde (Brunois, 2004).

Par exemple :

  • Pour les missionnaires protestants fondamentalistes, la forêt est présentée comme le « ventre de Satan », l’antithèse de l’ordre chrétien, et un obstacle à l’accès aux richesses modernes et aux « bienfaits » de Dieu (Brunois, 2004). Leur définition de la forêt est donc « forêt satanique » (Brunois, 2004).
  • Pour les compagnies d’exploitation forestière et l’État papou, la forêt devient un « objet de droit », un « bien environnemental assimilé à un bien cessible et monnayable », c’est-à-dire une « forêt marchandise » (Brunois, 2004). Elle est réduite à du bois mesurable en mètres cubes, sans considération pour la faune, la flore non ligneuse ou la présence et les pratiques des Kasua (Brunois, 2004).
  • Pour le Fonds Mondial pour la Nature (WWF) dans le cadre d’un projet de conservation, la forêt est appréhendée comme un réservoir de biodiversité à préserver, se concentrant notamment, dans un cas précis, sur une seule ressource : le papillon, menant à une conception de « forêt monospécifique » (Brunois, 2004). Cette approche repose sur une vision scientifique de la nature, séparée des activités sociales (Brunois, 2004).

Brunois (2004) souligne que cette pluralité des « forêts » imposée aux Kasua ne reflète pas nécessairement une pluralité de pensée sur la nature de leur part. Au contraire, elle montre comment différentes visions exogènes, bien que semblant diverses, partagent une base commune dans le naturalisme occidental, qui établit une frontière ontologique entre les humains et le reste du monde sylvestre, traitant les non-humains comme des objets (Brunois, 2004).

La pluralité des forêts, telle qu’elle se manifeste à travers ces différents projets, a des conséquences directes sur la société kasua, affectant leur identité culturelle en portant atteinte à leur manière originale d’être au monde et à leur « cosmos forestier » où les humains et les non-humains (visibles et invisibles) sont interdépendants et entretiennent des relations réciproques (Brunois, 2004). La négation de la conception kasua du monde sylvestre et l’imposition de ces définitions plurielles mais fondamentalement similaires dans leur dualisme ont pour effet de désécologiser les Kasua de leur propre milieu (Brunois, 2004).

La « Pluralité des forêts » pour Brunois (2004) ne signifie pas une véritable reconnaissance de différentes ontologies de la forêt, mais plutôt la superposition de diverses interprétations issues du naturalisme occidental, chacune servant les intérêts et les cosmologies des acteurs exogènes et ignorant la complexité de la relation des Kasua avec leur environnement.

Bibliographie :

Brunois, F. (2004). La forêt peut-elle être plurielle?: Définitions de la forêt des Kasua de Nouvelle-Guinée. Anthropologie et Sociétés, 28(1), 89–107. https://doi.org/10.7202/008572ar