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Naturalisme occidental 

Le naturalisme occidental désigne une conception du monde dominante en Occident qui établit une séparation ontologique fondamentale entre les êtres humains et la nature (ou les non-humains) (Brunois, 2004).

Points essentiels pour comprendre concept :

  • Séparation nature/culture : Au cœur du naturalisme occidental se trouve une distinction marquée et hiérarchisée entre la « nature » et la « culture ». La nature est souvent perçue comme un domaine extérieur, étranger à l’humain, existant objectivement « en soi » (Gosselin, 2018 ; Celka et al., 2020). Les humains, porteurs de culture, sont considérés comme fondamentalement différents et souvent supérieurs à cette nature (Brunois, 2004).
  • Objectivation des non-humains : Dans cette perspective, les entités non humaines (animaux, plantes, éléments naturels) sont généralement traitées comme des objets, des ressources, ou des « choses sans maîtres » (Brunois, 2004). Elles sont vues comme dépourvues d’intériorité, d’esprit, ou de subjectivité comparable à celle des humains. Cette objectivation autorise leur étude scientifique distanciée et leur exploitation au profit des humains (Brunois, 2004 ; Hermelin-Burnol, 2022).
  • Universalité de la nature, diversité des cultures (Gosselin, 2018) : Le naturalisme occidental tend à postuler l’existence d’une nature unique et universelle, régie par des lois objectives (notamment scientifiques) (Hermelin-Burnol, 2022). Les différences entre les peuples sont alors expliquées par la diversité de leurs cultures, qui sont considérées comme des « points de vue » subjectifs sur cette nature objective. C’est le modèle « multiculturaliste » occidental : une seule nature, de multiples cultures.
  • Rôle dominant de l’humain : Le naturalisme occidental accorde souvent à l’humain une place centrale et dominante dans l’univers. L’être humain est vu comme le seul véritable sujet, capable de raison, de conscience, et de volonté, lui conférant le droit de contrôler et de gérer la nature (Brunois, 2004 ; Hermelin-Burnol, 2022). Comme le note Florence Brunois (2004), dans la cosmologie chrétienne, seul l’Homme est institué comme le double de Dieu, occupant légitimement le monde.
  • Implications pour l’action : Cette vision du monde a des conséquences directes sur les pratiques et les politiques environnementales. Elle peut justifier l’exploitation des ressources naturelles pour le développement économique et considérer la nature comme un simple décor pour les activités humaines (Celka et al., 2020 ; Hermelin-Burnol, 2022).

Contraste avec d’autres ontologies :

  • La perspective des Kasua (Brunois, 2004) : Pour la société kasua de Nouvelle-Guinée, il n’existe pas de séparation nette entre les humains et leur environnement forestier. Ils perçoivent leur « cosmos forestier » comme un ensemble d’êtres interdépendants, humains et non-humains (y compris des esprits), avec lesquels ils entretiennent des relations réciproques. Leur ontologie ne repose pas sur la dualité sujet/objet propre au naturalisme occidental.
  • Le perspectivisme amérindien (Gosselin, 2018) : Tel que décrit par Eduardo Viveiros de Castro, ce concept postule une unité de l’esprit ou de l’âme entre les différentes espèces (humaines et non-humaines), mais une diversité des corps et des points de vue. Contrairement au naturalisme qui voit une nature unique affectée différemment par les cultures, le perspectivisme suggère une unité de l’esprit et une diversité des corps, menant au concept de multinaturalisme. Le « point de vue » n’est pas une représentation mentale subjective sur une nature objective, mais est ancré dans le corps.

Le naturalisme occidental est une grille de lecture du monde qui a profondément façonné la pensée et les actions des sociétés occidentales. Il repose sur une distinction ontologique entre les humains et la nature, objectivant cette dernière et plaçant l’humain dans une position de domination. La reconnaissance d’autres ontologies, comme celles des Kasua ou des peuples amérindiens, remet en question l’universalité et les conséquences du naturalisme occidental (Brunois, 2004).

Bibliographie :

Brunois, F. (2004). La forêt peut-elle être plurielle?: Définitions de la forêt des Kasua de Nouvelle-Guinée. Anthropologie et Sociétés28(1), 89–107. https://doi.org/10.7202/008572ar

Celka, M., La Rocca, F., & Vidal, B. (2020). Introduction: Penser les humanités environnementales: Sociétés, n° 148(2), 5–9. https://doi.org/10.3917/soc.148.0005

Gosselin, S. (2018, octobre 11). Le point de vue est dans le corps. Terrestres. https://www.terrestres.org/2018/10/11/le-point-de-vue-est-dans-le-corps/

Hermelin-Burnol, M. (2022). Carolyn Merchant, La Mort de la nature. Les femmes, l’écologie et la révolution scientifique: Marseille, Wildproject, 2021, 454 p. Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 155. https://doi.org/10.4000/chrhc.20560