Le multinaturalisme est un concept clé introduit par l’anthropologue Eduardo Viveiros de Castro, en s’appuyant sur ses travaux auprès des sociétés indigènes d’Amérique du Sud. Il vise à décrire une caractéristique saillante de la pensée amérindienne, en contraste avec les cosmologies « multiculturalistes » modernes occidentales (Gosselin, 2018).
Points essentiels pour comprendre le multinaturalisme selon l’article “Le point de vue est dans le corps” de Sophie Gosselin (2018) :
- Unité de l’esprit, diversité des corps : Contrairement au multiculturalisme occidental qui repose sur l’idée d’une nature unique partagée par de multiples cultures (différents points de vue subjectifs sur une même réalité objective), le multinaturalisme postule une unité de l’esprit ou de l’intériorité entre les différentes espèces (humaines et non-humaines) et une diversité des corps ou de la physicalité.
- Rupture avec le partage nature/culture : Le multinaturalisme rompt avec la distinction fondamentale entre nature et culture qui est au cœur du naturalisme occidental. Dans la perspective amérindienne, différentes espèces perçoivent le monde selon des points de vue différents, mais partagent un fond commun au niveau de l’esprit.
- Le point de vue est dans le corps : Viveiros de Castro insiste sur le fait qu’une perspective n’est pas une simple représentation mentale (propriété de l’esprit), mais qu’elle est ancrée dans le corps. La différence entre les points de vue n’est pas dans l’âme (formellement identique chez toutes les espèces), mais dans la spécificité des corps, qui se manifestent par un ensemble de manières et de modes d’être.
- Le mythe comme fondement : L’unité de l’esprit s’exprime dans le mythe, qui est vu comme une dimension originaire et virtuelle présente dans chaque corps, reliant les existants entre eux. Le mythe révèle un « chaosmos » où les dimensions corporelles et spirituelles ne s’occultaient pas encore.
- Perspectivisme et personne : Le multinaturalisme est étroitement lié au perspectivisme amérindien, qui considère le monde comme habité par différentes espèces de personnes (humains et non-humains) qui l’appréhendent selon des points de vue distincts. La capacité d’occuper un point de vue (« personnitude » et « perspectivité ») est une question de degré, de contexte et de position, plutôt qu’une propriété exclusive d’une espèce.
Le multinaturalisme décrit une ontologie où l’unité se situe au niveau de l’esprit ou de l’intériorité partagée, tandis que la diversité se manifeste dans les corps et les perspectives qui en découlent. Il s’oppose à la vision naturaliste occidentale qui postule une nature universelle et objective sur laquelle se greffent des cultures diverses et subjectives. Cette distinction ontologique a des conséquences importantes sur la manière de comprendre les relations entre les humains et les non-humains (Gosselin, 2018).
Bibliographie :
Gosselin, S. (2018, octobre 11). Le point de vue est dans le corps. Terrestres. https://www.terrestres.org/2018/10/11/le-point-de-vue-est-dans-le-corps/