La Décroissance muséale est un concept qui explore les liens et les tensions entre les principes de la muséologie et la théorie de la décroissance (Latouche, 2021). Elle émerge de la réflexion sur la soutenabilité des pratiques muséales face à la logique d’accumulation illimitée qui a caractérisé les musées (Latouche, 2021), en particulier dans le contexte de la crise écologique.
Initialement, la muséologie, souvent perçue comme un univers d’accumulation et de conservation (Latouche, 2021), pouvait sembler opposée à la décroissance, qui prône la fin de la croissance infinie dans un monde fini et valorise la culture comme échappatoire à la marchandisation (Latouche, 2021). Cependant, face à la prolifération des collections matérielles, au manque d’espace de stockage, aux coûts d’entretien élevés (transformant les collections en « poids morts » et en « fardeau de gestion » pour les générations futures), de nombreux muséologues ont commencé à remettre en cause la possibilité et la désirabilité de gérer des collections illimitées (Latouche, 2021). Cette accumulation illimitée peut être vue comme une obéissance à l’idéologie de la croissance économique capitaliste (Latouche, 2021).
Le point de convergence majeur réside dans la critique d’une « accumulation infinie ou sans limite » (Latouche, 2021). La théorie de la décroissance offre ainsi une perspective, voire une « permission », pour les musées d’envisager d’arrêter ou d’inverser leur croissance matérielle (Latouche, 2021). L’idée d’une « décroissance muséale » (comme soulevé par François Mairesse, cité par Latouche, 2021) suggère que l’abandon du principe de collecte illimitée (Latouche, 2021) et l’exploration de l' »aliénation planifiée » d’une partie des collections excédentaires pourrait ne pas être un renoncement à la mission, mais une réorientation pour mieux la remplir (Latouche, 2021). Cette libération d’objets pourrait créer de nouvelles « opportunités pour la création de relations » (Latouche, 2021), la circulation ou la réutilisation (Latouche, 2021).
Le concept invite à appliquer les principes de la décroissance, comme les « huit R » (Réévaluer, Réduire, Réutiliser, Recycler, Relocaliser, Redistribuer, Réinterpréter, Répérorter), aux pratiques muséales (Latouche, 2021). Cela pourrait impliquer une réévaluation de la valeur de la conservation matérielle face à la culture vivante, une acceptation de la détérioration naturelle due au temps (Latouche, 2021), la redistribution d’objets vers d’autres institutions, ou une plus grande participation des publics locaux dans les décisions concernant les collections (Latouche, 2021).
Si la remise en cause de l’inaliénabilité traditionnelle des collections n’est pas sans risques (notamment de dérive mercantile ou de corruption dans un contexte capitaliste) (Latouche, 2021), la réflexion sur la décroissance muséale incite les musées à repenser leurs modèles. Loin de signifier une diminution de la valeur culturelle, elle pourrait encourager un recentrage sur des aspects moins matériels tels que le patrimoine immatériel, les relations humaines, et la participation communautaire (Chaumier, [s.d.] ; Borrelli & Dal Santo, 2023), en écho à la nouvelle muséologie et l’écomuséologie. Les musées pourraient alors évoluer vers des rôles de plateformes d’échange, d’espaces publics et de catalyseurs de l’émancipation (Chaumier, 2024), questionnant leur place et leur nature dans une société post-croissance (Latouche, 2021). L’arbitrage entre la culture vivante et la culture morte est également posé (Latouche, 2021).
En somme, la Décroissance muséale est une notion provocante (Latouche, 2021) qui pousse les musées à interroger leur modèle d’accumulation illimitée, à considérer les limites matérielles et environnementales, et à explorer des voies alternatives pour remplir leur mission en se focalisant davantage sur l’immatériel, le social et la contribution au bien commun (Chaumier, [s.d.] ; Borrelli & Dal Santo, 2023).
Bibliographie :
Borrelli, N., & Dal Santo, R. (Orgs.). (2023). Ecomuseums and climate change. Ledizioni.
Chaumier, S. ([s.d.]). Viser l’émancipation malgré tout [Communication personnelle].
Chaumier, S. (2024, décembre). Construire de nouveaux récits et proposer de nouvelles missions sociales pour les écomusées et musées de société. Nouveaux récits des écomusées et musées de société, RÉFLEXIONS ISSUES DES RENCONTRES PROFESSIONNELLES DE LA FEMS 2024, 10–19.
Latouche, S. (2021). Muséologie et décroissance. La Lettre de l’OCIM, 196, 38–43. https://doi.org/10.4000/ocim.4440